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Une pute exemplaire
Je suis tombée dans la prostitution en 1995.
Tombée, oui, comme on tombe dans l’alcool ou une drogue dure, mais il n’y a pas de véritable plaisir, je pourrais donc plutôt dire que j’ai attrapé un virus, une maladie mortelle pour laquelle on n’a pas de vaccin.
J’y suis tombée et je ne sais pas si on peut s’en sortir un jour.
J’insiste sur "tomber" car on entend maintenant qu’il y aurait de l’ascension sociale possible en devenant putain.
Ceux qui disent que la prostitution est une prise de pouvoir pour les femmes, une ascension, savent-ils de quoi ils parlent ?
Ils ne prennent en exemples que celles qui se sont reconverties, qui ont quitté le milieu ou qui n’ont pas été prostituées longtemps.
Celles qui « s’en sortent ».
S’en sortir ? Non, je ne crois pas que l’on en sorte indemne.
Et d’ailleurs, moi, tant d’années après, j’y suis encore.
Pourquoi on ne s’intéresse pas à toutes les femmes qui sont prostituées dans notre pays ? Pourquoi ma voix ne compte pas ?
Parce que nous n’avons pas accès aux médias, que nous n’avons pas la possibilité de faire autre chose pour payer nos loyers, que nous ne sommes pas célèbres, contrairement à Zahia ou d’autres qui ont acquis cette notoriété, qui sont devenues mannequin, écrivain, star du cinéma…
C’est ça, pour eux, la prostitution, c’est du cinéma. Comme pour l’actrice porno, qui est une variante de pute, celles qui sont connues et que l’on écoute, celles que l’on invite partout sont toujours les mêmes : celles qui
« s’en sortent », tiens donc, qui font de cette « expérience » une force. Foutaises ! Putain ! Combien sont-elles ? Concrètement ?
On pourra toujours faire dire ce que l’on veut à des chiffres, je ne pense pas que celles qui vantent les mérites de cette « activité » de service sexuel représentent plus d’1% des femmes prostituées.
Pourtant, c’est cette minorité qui est mise en avant. Que l’on expose partout et que l’on entend.
Les millions de femmes mortes, nous, les esclaves sexuelles de notre monde, on ne nous écoute pas.Et chaque fois qu’il y a un débat sur le thème de la prostitution, qu’ils prétendent « donner la parole aux concernées », on nous fait taire.Ils préfèrent continuer à élaborer des discours qui se veulent intellectuels sur le « travail du sexe » libérateur, avec tous ces best-sellers et tous les gens qui plaisent au grand public allant toujours dans leur sens, leur idéologie toxique.
Un de mes potes, qui ignore tout de ce que je fais à côté et se croit progressiste, m’a dit hier, super content, qu’il y aura bientôt un film adapté d’un livre qu’il a « trop kiffé », un livre sur une jeune femme qui se prostitue volontairement. Ils ont mis 2,6 millions d’euros de budget pour soutenir ce discours : être pute, c’est cool, c’est pas pire qu’être ouvrière, c’est même beaucoup mieux et épanouissant.
Qui a écrit ce truc ?
Comme la plupart des livres qui triomphent partout, c’est écrit par une femme blanche, issue d’un milieu socio-professionnel normal ou d’une famille aisée, qui a donc décidé de se prostituer et qui ne le regrette pas une minute.
Contrairement à l’immense majorité des femmes en situation de prostitution qui, elles, ne l’ont pas décidé et qui sont pauvres, racisées, immigrées.
Et ce seront, malgré tout, les privilégiées, loin de notre quotidien, qui se prétendront nos porte-paroles ?
L’imposture de cette écrivaine avait été démontrée. Mais, quand bien même, si elle l’avait vraiment un peu testé, de faire un peu la pute, je m’en fiche, ça change quoi ?
Ce roman me fait penser à des riches aristocrates qui iraient passer quelques nuits dans une tente pour savoir « ce que ça fait d’être sans domicile fixe » : « Oh… Dormir dans la rue, c’est tellllllement amusant ! »
Sauf qu’à tout moment ils peuvent repartir chez eux, dans un appartement des beaux quartiers de Paris, 150 mètres carrés, bien au chaud, à l’abri de la pluie et des agressions, dans un endroit sécurisé.
Idem pour la Madame encensée : c’est facile de dire « vive la prostitution ! », puisqu’elle était libre, à tout moment, d’arrêter. Son livre a fait l’unanimité, vanter la prostitution comme un métier ça plait à la droite comme la gauche, même les « féministes » sont avec elle, Libé, Le Figaro, Le Monde, Le Point, France Culture, Philo Mag, Causette, Télérama, Inrockuptibles, les sites de tout bord se sont emballés pour cette tricherie.
Ils donnent des prix littéraires, des Cesar, les anciennes putes réussissent et s’enrichissent.
Pourquoi donc des productions financent encore un film pro-prostitution ? Parce qu’il correspond à leurs fantasmes, depuis Belle de Jour à Pretty Woman, c’est ce que la foule veut voir : la pute heureuse, surtout canon comme Catherine Deneuve ou Julia Roberts, pas une vieille ravagée par les années de pratique.
Mais merde : être pute, c’est pas du cinéma !
A croire que ça arrange donc tout le monde, dans notre société et qu’il y a un système bien en place d’industrie du sexe qu’ils veulent continuer à entretenir, qu’ils se font un max de thune grâce à l’utilisation des femmes. Allez dire aux milliers de Roumaines et maintenant aux réfugiées Ukrainiennnes, que c’est « une formidable émancipation, le travail du sexe » ! Allez voir mes copines asiatiques et africaines sans papier.
Et même les Françaises, pourquoi celles qui ont du succès sont dans cette mouvance « pour le travail du sexe » ?
Pourquoi personne ne parle de Laurence Noelle, Brigitte Bianco, Linda Susan Boreman, Karen Bach ? Pourquoi n’y a-t-il pas de publicité pour Nelly Arcan, Rachel Moran, Karin Bernfeld, Andrea Dworkin ? Pourquoi on n’écoute pas toutes les anonymes qui crèvent, sont tuées ou se suicident pour « sortir » enfin de cet enfer ?
S’il vous plaît, allez discuter vraiment avec mes collègues de misère, mes sœurs de trottoirs, d’Internet et des bordels officiels en Europe. Comme si avoir une fiche de paie changeait les choses.
N’allez pas croire que je suis une victime de la traite, moi aussi je suis officiellement une pute comme il faut.
Je suis une pute exemplaire pour les clients, je le sais, avec moi ils ne culpabilisent pas : je n’ai jamais été exploitée par un proxénète, j’ai choisi la prostitution.
Comme si ça changeait le fond, ces violences que l’on doit subir chaque jour, ces verges dégueulasses que l’on doit se prendre dans nos gorges, nos vagins, nos culs en sang.
Je ne peux évidemment affirmer que la prostitution heureuse n’existe pas, après tout, comme avec l’inceste, les exceptions on en trouve toujours. J’ai rencontré une femme qui a été violée par son père et disait avoir apprécié, le fameux « inceste consenti » comme le garde des Sceaux voulait l’inscrire dans la loi.
On va donc défendre l’inceste auprès de notre population, pour le rendre totalement légal et normal ? Cette femme qui se dit épanouie après ce viol par son père va parler au nom de toutes les autres, les fillettes dont l’enfance et l’existence entière ont été détruites ?
Est-ce qu’un jour on regardera enfin tous ces livres, films, ces discours omniprésents sur la prostitution comme on commence à lire aujourd’hui les livres de Matzneff, avec effroi et révolte ? Les voir pour ce qu’ils sont, une apologie de crime. Je risque de disparaître avant ce jour-là. Dans notre pays, il y a des tas de femmes connues, là encore « féministes » qui ont défendu le droit des violeurs et pour que les hommes aient « la liberté d’importuner ».
Le « MeeToo », ça n’a servi à rien du tout.
Je peux le dire maintenant, je ne pouvais pas le faire en 1995 : je suis une pute abolitionniste.
Je suis pour que chaque femme puisse sortir de la prostitution.
Que plus aucun homme n’achète nos corps.
Mes sœurs de bordel et moi, on échangerait tout de suite nos vies contre la votre, contre les vies des personnes qui n’ont jamais été prostituées ou alors contre les vies de celles qui n’y ont fait qu’un petit tour de manège divertissant, celles qu’on voit à la télé affirmer que c’est « un métier comme un autre ».
Avec en renfort les gauchistes soi-disant révolutionnaires qui sont au final les mêmes que les catholiques bourgeois, le néo-libéralisme au summum. La soi-disant subversion de ces pseudos-révolutionnaires, j’ai pu la vérifierce matin en allant voir un client dans une superbe villa, en grande banlieue chic avec des écoles privées, une ville qui commence par V., où ils vont à la messe le dimanche et où on voit encore au sol sur les trottoirs plein d’inscriptions anti-mariage-gay, anti-PMA, anti-avortement.
Dans la vitrine de la librairie où, il y a quelques mois encore, je ne voyais que des livres sur le pape François et l’éducation religieuse des enfants, était mis en avant, au milieu des machins sur la Reine d’Angleterre, une écrivaine « évènement de la rentrée littéraire » et qui prétend parler en notre nom pour faire sa propagande gerbante.
Ok, c’est que du commerce. Mais ça en dit long sur ce qui se vend là-bas aussi, les bourgeois cathos ne lisent pas ça pour se renseigner sur leurs ennemis, mais parce qu’un grand nombre des idées de cette écrivaine sont les leurs.
Concrétement, celle qui est présentée comme rebelle est totalement meanstream, consensuelle et innoffensive.
Prôner la prostitution c’est servir le capitalisme en place, continuer à entretenir les schémas qui sont là depuis des siècles, la domination masculine et la distinction « maman-putain ».
Sur la table du salon, mon client avait le livre en question, parce que, bon, il est féministe lui aussi.
Il pense limite faire une bonne action en payant pour mon cul. Parce qu’il me traite correctement, que c’est « le plus vieux métier du monde », etc.
Tous ces gens vivent surtout dans une autre réalité, un déni égoïste.
Comme avec la pollution et le réchauffement climatique, ils prennent toujours l’avion pour leurs vacances au bout de la planète, la canicule ils n’en ont rien à foutre : ils ont la clim.
L’inflation, toutes ces personnes pro-prostitution, ne la voient pas au même niveau, elles ne savent pas ce qu’est l’angoisse du frigo vide, ne n’avoir rien à bouffer, ne pas pouvoir nourrir ses enfants, de voir le prix de la farine augmenter, le ticket des courses alimentaires de base qui a doublé.
Moi je ne vais pas pouvoir dire à mes clients : la pipe, c’est comme le paquet de pâtes, c’est plus cher à partir d’aujourd’hui.
Non, mes tarifs ne sont jamais revus à la hausse car aucun client ne l’accepte. Et n’allez pas me dire que la législation résoudrait le problème : la concurrence y est encore plus rude, mes collègues du Pays-Bas, d’Allemagne ou d’Espagne gagnent de moins en moins d’argent au fil du temps.
Alors, je ne vous connais pas personnellement, mais je me permets de vous demander : Emma, Coralie, Virginie, Ovidie, Maïa, Camille, on troque nos comptes bancaires ?
Et la prochaine fois que vous êtes confrontés à ma condition, tous les autres qui m’avez lue, hein, promis, au lieu de donner votre thune pour alimenter la propagande prostitutionnelle, vous nous aiderez vraiment, nous, les putes réelles, pas celles des romans, pas celles, du cinéma ? Vous nous aidez à changer de vie ?
Une pute exemplaire
Je suis tombée dans la prostitution en 1995.
Tombée, oui, comme on tombe dans l’alcool ou une drogue dure, mais il n’y a pas de véritable plaisir, je pourrais donc plutôt dire que j’ai attrapé un virus, une maladie mortelle pour laquelle on n’a pas de vaccin.
J’y suis tombée et je ne sais pas si on peut s’en sortir un jour.
J’insiste sur "tomber" car on entend maintenant qu’il y aurait de l’ascension sociale possible en devenant putain.
Ceux qui disent que la prostitution est une prise de pouvoir pour les femmes, une ascension, savent-ils de quoi ils parlent ?
Ils ne prennent en exemples que celles qui se sont reconverties, qui ont quitté le milieu ou qui n’ont pas été prostituées longtemps.
Celles qui « s’en sortent ».
S’en sortir ? Non, je ne crois pas que l’on en sorte indemne.
Et d’ailleurs, moi, tant d’années après, j’y suis encore.
Pourquoi on ne s’intéresse pas à toutes les femmes qui sont prostituées dans notre pays ? Pourquoi ma voix ne compte pas ?
Parce que nous n’avons pas accès aux médias, que nous n’avons pas la possibilité de faire autre chose pour payer nos loyers, que nous ne sommes pas célèbres, contrairement à Zahia ou d’autres qui ont acquis cette notoriété, qui sont devenues mannequin, écrivain, star du cinéma…
C’est ça, pour eux, la prostitution, c’est du cinéma. Comme pour l’actrice porno, qui est une variante de pute, celles qui sont connues et que l’on écoute, celles que l’on invite partout sont toujours les mêmes : celles qui
« s’en sortent », tiens donc, qui font de cette « expérience » une force. Foutaises ! Putain ! Combien sont-elles ? Concrètement ?
On pourra toujours faire dire ce que l’on veut à des chiffres, je ne pense pas que celles qui vantent les mérites de cette « activité » de service sexuel représentent plus d’1% des femmes prostituées.
Pourtant, c’est cette minorité qui est mise en avant. Que l’on expose partout et que l’on entend.
Les millions de femmes mortes, nous, les esclaves sexuelles de notre monde, on ne nous écoute pas.Et chaque fois qu’il y a un débat sur le thème de la prostitution, qu’ils prétendent « donner la parole aux concernées », on nous fait taire.Ils préfèrent continuer à élaborer des discours qui se veulent intellectuels sur le « travail du sexe » libérateur, avec tous ces best-sellers et tous les gens qui plaisent au grand public allant toujours dans leur sens, leur idéologie toxique.
Un de mes potes, qui ignore tout de ce que je fais à côté et se croit progressiste, m’a dit hier, super content, qu’il y aura bientôt un film adapté d’un livre qu’il a « trop kiffé », un livre sur une jeune femme qui se prostitue volontairement. Ils ont mis 2,6 millions d’euros de budget pour soutenir ce discours : être pute, c’est cool, c’est pas pire qu’être ouvrière, c’est même beaucoup mieux et épanouissant.
Qui a écrit ce truc ?
Comme la plupart des livres qui triomphent partout, c’est écrit par une femme blanche, issue d’un milieu socio-professionnel normal ou d’une famille aisée, qui a donc décidé de se prostituer et qui ne le regrette pas une minute.
Contrairement à l’immense majorité des femmes en situation de prostitution qui, elles, ne l’ont pas décidé et qui sont pauvres, racisées, immigrées.
Et ce seront, malgré tout, les privilégiées, loin de notre quotidien, qui se prétendront nos porte-paroles ?
L’imposture de cette écrivaine avait été démontrée. Mais, quand bien même, si elle l’avait vraiment un peu testé, de faire un peu la pute, je m’en fiche, ça change quoi ?
Ce roman me fait penser à des riches aristocrates qui iraient passer quelques nuits dans une tente pour savoir « ce que ça fait d’être sans domicile fixe » : « Oh… Dormir dans la rue, c’est tellllllement amusant ! »
Sauf qu’à tout moment ils peuvent repartir chez eux, dans un appartement des beaux quartiers de Paris, 150 mètres carrés, bien au chaud, à l’abri de la pluie et des agressions, dans un endroit sécurisé.
Idem pour la Madame encensée : c’est facile de dire « vive la prostitution ! », puisqu’elle était libre, à tout moment, d’arrêter. Son livre a fait l’unanimité, vanter la prostitution comme un métier ça plait à la droite comme la gauche, même les « féministes » sont avec elle, Libé, Le Figaro, Le Monde, Le Point, France Culture, Philo Mag, Causette, Télérama, Inrockuptibles, les sites de tout bord se sont emballés pour cette tricherie.
Ils donnent des prix littéraires, des Cesar, les anciennes putes réussissent et s’enrichissent.
Pourquoi donc des productions financent encore un film pro-prostitution ? Parce qu’il correspond à leurs fantasmes, depuis Belle de Jour à Pretty Woman, c’est ce que la foule veut voir : la pute heureuse, surtout canon comme Catherine Deneuve ou Julia Roberts, pas une vieille ravagée par les années de pratique.
Mais merde : être pute, c’est pas du cinéma !
A croire que ça arrange donc tout le monde, dans notre société et qu’il y a un système bien en place d’industrie du sexe qu’ils veulent continuer à entretenir, qu’ils se font un max de thune grâce à l’utilisation des femmes. Allez dire aux milliers de Roumaines et maintenant aux réfugiées Ukrainiennnes, que c’est « une formidable émancipation, le travail du sexe » ! Allez voir mes copines asiatiques et africaines sans papier.
Et même les Françaises, pourquoi celles qui ont du succès sont dans cette mouvance « pour le travail du sexe » ?
Pourquoi personne ne parle de Laurence Noelle, Brigitte Bianco, Linda Susan Boreman, Karen Bach ? Pourquoi n’y a-t-il pas de publicité pour Nelly Arcan, Rachel Moran, Karin Bernfeld, Andrea Dworkin ? Pourquoi on n’écoute pas toutes les anonymes qui crèvent, sont tuées ou se suicident pour « sortir » enfin de cet enfer ?
S’il vous plaît, allez discuter vraiment avec mes collègues de misère, mes sœurs de trottoirs, d’Internet et des bordels officiels en Europe. Comme si avoir une fiche de paie changeait les choses.
N’allez pas croire que je suis une victime de la traite, moi aussi je suis officiellement une pute comme il faut.
Je suis une pute exemplaire pour les clients, je le sais, avec moi ils ne culpabilisent pas : je n’ai jamais été exploitée par un proxénète, j’ai choisi la prostitution.
Comme si ça changeait le fond, ces violences que l’on doit subir chaque jour, ces verges dégueulasses que l’on doit se prendre dans nos gorges, nos vagins, nos culs en sang.
Je ne peux évidemment affirmer que la prostitution heureuse n’existe pas, après tout, comme avec l’inceste, les exceptions on en trouve toujours. J’ai rencontré une femme qui a été violée par son père et disait avoir apprécié, le fameux « inceste consenti » comme le garde des Sceaux voulait l’inscrire dans la loi.
On va donc défendre l’inceste auprès de notre population, pour le rendre totalement légal et normal ? Cette femme qui se dit épanouie après ce viol par son père va parler au nom de toutes les autres, les fillettes dont l’enfance et l’existence entière ont été détruites ?
Est-ce qu’un jour on regardera enfin tous ces livres, films, ces discours omniprésents sur la prostitution comme on commence à lire aujourd’hui les livres de Matzneff, avec effroi et révolte ? Les voir pour ce qu’ils sont, une apologie de crime. Je risque de disparaître avant ce jour-là. Dans notre pays, il y a des tas de femmes connues, là encore « féministes » qui ont défendu le droit des violeurs et pour que les hommes aient « la liberté d’importuner ».
Le « MeeToo », ça n’a servi à rien du tout.
Je peux le dire maintenant, je ne pouvais pas le faire en 1995 : je suis une pute abolitionniste.
Je suis pour que chaque femme puisse sortir de la prostitution.
Que plus aucun homme n’achète nos corps.
Mes sœurs de bordel et moi, on échangerait tout de suite nos vies contre la votre, contre les vies des personnes qui n’ont jamais été prostituées ou alors contre les vies de celles qui n’y ont fait qu’un petit tour de manège divertissant, celles qu’on voit à la télé affirmer que c’est « un métier comme un autre ».
Avec en renfort les gauchistes soi-disant révolutionnaires qui sont au final les mêmes que les catholiques bourgeois, le néo-libéralisme au summum. La soi-disant subversion de ces pseudos-révolutionnaires, j’ai pu la vérifierce matin en allant voir un client dans une superbe villa, en grande banlieue chic avec des écoles privées, une ville qui commence par V., où ils vont à la messe le dimanche et où on voit encore au sol sur les trottoirs plein d’inscriptions anti-mariage-gay, anti-PMA, anti-avortement.
Dans la vitrine de la librairie où, il y a quelques mois encore, je ne voyais que des livres sur le pape François et l’éducation religieuse des enfants, était mis en avant, au milieu des machins sur la Reine d’Angleterre, une écrivaine « évènement de la rentrée littéraire » et qui prétend parler en notre nom pour faire sa propagande gerbante.
Ok, c’est que du commerce. Mais ça en dit long sur ce qui se vend là-bas aussi, les bourgeois cathos ne lisent pas ça pour se renseigner sur leurs ennemis, mais parce qu’un grand nombre des idées de cette écrivaine sont les leurs.
Concrétement, celle qui est présentée comme rebelle est totalement meanstream, consensuelle et innoffensive.
Prôner la prostitution c’est servir le capitalisme en place, continuer à entretenir les schémas qui sont là depuis des siècles, la domination masculine et la distinction « maman-putain ».
Sur la table du salon, mon client avait le livre en question, parce que, bon, il est féministe lui aussi.
Il pense limite faire une bonne action en payant pour mon cul. Parce qu’il me traite correctement, que c’est « le plus vieux métier du monde », etc.
Tous ces gens vivent surtout dans une autre réalité, un déni égoïste.
Comme avec la pollution et le réchauffement climatique, ils prennent toujours l’avion pour leurs vacances au bout de la planète, la canicule ils n’en ont rien à foutre : ils ont la clim.
L’inflation, toutes ces personnes pro-prostitution, ne la voient pas au même niveau, elles ne savent pas ce qu’est l’angoisse du frigo vide, ne n’avoir rien à bouffer, ne pas pouvoir nourrir ses enfants, de voir le prix de la farine augmenter, le ticket des courses alimentaires de base qui a doublé.
Moi je ne vais pas pouvoir dire à mes clients : la pipe, c’est comme le paquet de pâtes, c’est plus cher à partir d’aujourd’hui.
Non, mes tarifs ne sont jamais revus à la hausse car aucun client ne l’accepte. Et n’allez pas me dire que la législation résoudrait le problème : la concurrence y est encore plus rude, mes collègues du Pays-Bas, d’Allemagne ou d’Espagne gagnent de moins en moins d’argent au fil du temps.
Alors, je ne vous connais pas personnellement, mais je me permets de vous demander : Emma, Coralie, Virginie, Ovidie, Maïa, Camille, on troque nos comptes bancaires ?
Et la prochaine fois que vous êtes confrontés à ma condition, tous les autres qui m’avez lue, hein, promis, au lieu de donner votre thune pour alimenter la propagande prostitutionnelle, vous nous aiderez vraiment, nous, les putes réelles, pas celles des romans, pas celles, du cinéma ? Vous nous aidez à changer de vie ?